V
LA MAIN D’UNE FEMME

Bryan Ferguson ouvrit les portes de la grande demeure grise et son visage s’éclaira.

— Le commandant Adam, ça alors ! Lorsque je vous ai vu arriver sur votre cheval, j’ai d’abord cru que, bon… quel dommage que John Allday ne soit pas là !

Le capitaine de vaisseau Adam Bolitho entra dans la grande pièce et commença à inspecter les lieux, notant le moindre petit changement. On sentait la main d’une femme.

— J’ai cru comprendre qu’il était à Portsmouth, Bryan.

— Avez-vous des nouvelles de la cour martiale, commandant ?

Adam s’approcha de la grande cheminée et passa la main sur le blason sculpté qui ornait le manteau. Que de souvenirs… Lorsque âgé de quatorze ans, tout d’abord, il avait fait à pied toute la route depuis Penzance, où sa mère venait de mourir. Il avait dans la poche un bout de papier sur lequel était écrit le nom du seul homme susceptible de prendre soin de lui. Cette maison était devenue sa maison. Sir Richard Bolitho avait fait le nécessaire pour qu’elle soit réellement à lui un jour, de même qu’il lui avait accordé de porter leur nom de famille.

Il revint à la question posée par Ferguson.

— Oui, et toute la marine doit être au courant à l’heure qu’il est – puis, changeant de sujet : J’ai aperçu la voiture de mon oncle devant les écuries. Est-il ici ?

Ferguson hocha négativement la tête.

— Il doit bientôt embarquer à Falmouth et il a envoyé son aide de camp devant pour tout préparer. Yovell est arrivé avec lui.

Il voyait Adam faire les cent pas dans la pièce. Lorsqu’il était arrivé sur sa monture, on aurait dit Bolitho soi-même. Mais le jeune homme, aux cheveux aussi noirs que ceux de son oncle, n’avait que vingt-sept ans et ne portait qu’une seule épaulette de capitaine de vaisseau, à l’épaule droite.

Adam surprit son regard et se mit à sourire.

— Vous savez. Bryan, cette année va être à marquer d’une pierre blanche, si tout se passe bien. Je devrais être promu capitaine de vaisseau confirmé à l’automne.

Ferguson approuva vigoureusement du menton. Ainsi, il allait faire comme son oncle adoré, qui avait reçu son premier commandement à vingt-deux ou vingt-trois ans. Pour le moment, Adam commandait une jolie frégate, l’Anémone.

— On m’envoie en mer d’Irlande, reprit Adam, il paraît qu’il y a des corsaires dans les parages. On va essayer d’en titiller quelques-uns.

— Vous ne pourriez pas rester jusqu’à demain ? lui demanda Ferguson. Sir Richard devrait arriver – il m’a fait porter un mot par la poste ce matin. Je pourrais demander à Mrs. Ferguson de vous mijoter vos petits plats préférés dans le cas…

Adam s’était détourné brusquement, tout interloqué, les yeux écarquillés.

Zénoria se tenait dans la courbe de l’escalier. Elle resta ainsi à le regarder pendant de longues secondes.

— Quoi, le capitaine de vaisseau Bolitho ! dit-elle en éclatant de rire – elle avait entendu des voix en bas et elle fronçait les sourcils comme une petite fille : Décidément, dans cette famille, on n’a que des surprises !

Elle lui tendit sa main à baiser. Il lui dit en hésitant :

— Mais je ne savais pas, madame Keen…

— Appelez-moi Zénoria, lui répondit-elle avec le sourire. Lady Catherine m’a vite appris que l’on ne s’embarrassait guère de formalités chez elle – elle rejeta ses cheveux en arrière et se remit à rire de le voir si sérieux : C’est de commander qui vous rend la chose difficile ?

Adam commençait à reprendre ses esprits.

— Le commandant Keen doit remercier le Ciel tous les jours de sa chance.

Elle le vit qui regardait l’escalier et répondit :

— Il n’est pas encore là, il arrivera peut-être après-demain. Il doit partir avec Sir Richard.

— Ah, je vois.

— Mrs. Keen va demeurer chez nous, commandant, expliqua Ferguson.

Elle s’avança dans la pièce voisine et montra à Adam les grandes rangées de livres reliés.

— Contrairement à vous, Adam – elle avait un peu hésité avant de l’appeler par son prénom –, je n’ai pas reçu d’autre éducation que celle que mon père m’a donnée.

Adam sourit, mais c’est sur un ton assez triste qu’il répondit :

— J’ai vécu dans un taudis avec ma mère, jusqu’à sa mort. Elle ne possédait rien que son corps, qu’elle livrait à des « messieurs » afin de nous permettre de subsister – il baissa les yeux : Je… je suis navré, Zénoria, je ne voulais pas me montrer agressif. C’est la dernière chose au monde que je souhaiterais.

Elle posa la main sur son bras et lui dit d’une voix douce :

— C’est moi qui vous dois des excuses. J’ai le sentiment que nous avons eu tous deux une enfance bien affligeante.

Il regardait cette main posée sur sa manche : l’alliance de Keen brillait au soleil.

— Je suis content d’apprendre que vous allez séjourner ici. Je pourrai peut-être passer de temps à autre, si mon bâtiment fait relâche ?

Elle se dirigea vers la fenêtre et resta là, les yeux perdus, à contempler le jardin, les collines dans le lointain.

— Pourquoi me demandez-vous la permission ?

Elle se retourna, son ombre se découpait, mais elle avait les yeux rieurs.

— Vous êtes ici chez vous, n’est-ce pas ?

Ferguson les laissa pour rejoindre sa femme qu’il trouva en train de parler légumes avec la cuisinière.

— Alors. Bryan, comment va-t-il ? Il va rester un peu ?

La cuisinière trouva un vague prétexte et retourna à ses fourneaux.

— Je pense qu’il souhaite rester, répondit Ferguson à sa femme.

Il se retourna en entendant la jeune fille éclater de rire – car ce n’était encore qu’une jeune fille.

— J’espère seulement que Sir Richard ne va pas tarder – et il ajouta in petto : Avec Lady Catherine. Elle au moins, elle saura quoi faire.

Sa femme lui sourit.

— Nous voilà tous réunis. Une maison digne de ce nom. Je vais aller m’occuper de tout ça.

Ferguson l’observa, cette bonne silhouette un peu arrondie. Il se souvenait comme elle l’avait chouchouté, comme elle l’avait soigné lorsqu’il était revenu de guerre avec un bras en moins.

Si seulement Grâce avait raison. Pourtant, un jour, quelqu’un arriverait avec de mauvaises nouvelles, c’était inévitable. Il leva les yeux pour regarder le premier portrait accroché dans l’escalier. Le capitaine de vaisseau David Bolitho, mort en combattant des pirates au large des côtes d’Afrique. Il portait le sabre de la famille. À l’époque, l’arme était encore flambant neuve, c’est lui qui l’avait dessinée. Comme tous les autres, représentés là, il attendait que le dernier des Bolitho vînt le rejoindre. Ferguson en était tout triste, mais il ne vivrait peut-être pas assez vieux pour voir ça. Il tendit l’oreille, on entendait des voix dans la bibliothèque. Il vit le commandant Adam offrir son bras à Zénoria pour l’empêcher de tomber. Perchée sur un escabeau, elle regardait des livres qui n’avaient probablement pas bougé de là depuis des lustres.

Mon Dieu, songea-t-il, ils vont si bien ensemble. Cette idée le choqua plus qu’il ne s’y fût attendu.

Adam se retourna et l’aperçut.

— C’est décidé. Je vais rester quelque temps, Bryan. Mon vaillant second va en tirer profit !

Ferguson ne pouvait pas dire ce qu’il pensait de tout ça à Grâce et, en outre, elle ne l’aurait pas cru. Elle voyait le bien partout.

Et Allday ? Mais il n’était pas là, impossible de lui demander conseil, de s’appuyer sur lui une fois que le navire aurait appareillé pour Le Cap.

Adam ne s’aperçut même pas de la disparition de Ferguson.

— Vous êtes en tenue d’équitation, si je vous emmenais jusqu’au château ? Cela nous mettra en appétit et nous profiterons mieux de ce que nous mitonne Mrs. Ferguson !

On entendit des pas dans l’entrée, c’était Jenour. Il semblait un peu interloqué.

Adam lui serra vigoureusement la main.

— Vous m’avez l’air épuisé, Stephen !

Il attendit que la jeune femme eût remis un livre à sa place, sans la quitter des yeux.

— Bon, je sais, vous êtes l’aide de camp de mon oncle et il ne m’appartient pas de vous poser de questions. J’ai été à votre place, il y a quelques années. Allez, venez, dit-il à Zénoria. Je vais chercher les chevaux !

Elle s’arrêta près de Jenour :

— Tout est prêt, Stephen ?

— Je pense que oui. On dit que le contre-amiral Herrick a été blanchi de toutes les accusations et acquitté. Je ne comprends pas très bien.

Elle posa sa main sur la sienne.

— Si c’est exact, j’en suis bien heureuse – surtout pour Sir Richard. Je sais qu’il s’est fait beaucoup de tourment – elle brandit sa cravache en criant : J’arrive. Adam ! Ce que vous pouvez être impatient !

Jenour les regarda s’éloigner. Les idées se bousculaient dans sa jeune cervelle. Une chose dominait pourtant, aussi éclatante qu’un phare sur une falaise : jamais de sa vie il n’avait vu l’épouse de Keen aussi joyeuse.

Yovell apparut dans l’embrasure d’une porte basse. Il mastiquait vigoureusement quelque chose qu’il avait chipé aux cuisines.

— Ah, vous voilà, Yovell…

L’image de la jeune femme et du capitaine de vaisseau s’évanouit. Les journées ne sont jamais assez longues pour un aide de camp dévoué à son amiral.

 

Allday fit halte dans le sentier étroit et s’appuya contre un mur de pierre. Lorsque, rentré de mer, il passait quelque temps à terre, il venait souvent en ces lieux tranquilles pour y être seul avec ses pensées. Et un bon vieux cruchon de rhum. Il poussa un soupir fatigué. Il entreprit de bourrer sa pipe et attendit que la brise de mer se fût un peu calmée avant de l’allumer. De là où il était, son regard embrassait toute la baie de Falmouth. Il n’était pas très loin de la ferme où il gardait les moutons lorsque le détachement de presse de la frégate Phalarope, commandée par Bolitho, lui avait mis la main au collet. Il ne le savait pas alors, mais cet événement allait changer le cours de son existence.

Cela faisait deux jours qu’ils étaient arrivés de Portsmouth. Sans surprise, les commérages allaient bon train après le verdict rendu par la cour martiale qui jugeait Herrick. Il avala une goulée de rhum puis reposa soigneusement le cruchon entre ses jambes. Il avait mis sac à terre, une fois de plus. Cela lui faisait un effet bizarre, de se réveiller tous les matins sans entendre les cris aigus des catins, les Rossignols de Spithead, comme les surnomment les mathurins. Plus d’école à feu ou de séance de manœuvre, avec les piétinements, les gabiers qui s’élancent dans les hauts en faisant la course à qui arrivera le premier. Cette fois-ci, il serait simple passager. La chose aurait pu l’amuser, s’il n’avait pas eu d’autres sujets de mélancolie. Il en avait touché un mot à Bryan Ferguson, l’ami de toujours, mais rien à personne d’autre. C’était bizarre, il avait le sentiment que Ferguson était à deux doigts de se confier lui aussi, mais il n’avait pas insisté.

Allday avait aperçu son fils à son retour de Portsmouth, John Bankart. Dans le temps, il était si fier de son gamin, d’autant qu’il avait ignoré son existence pendant des années. Lorsque son fiston était devenu maître d’hôtel du commandant Adam, sa fierté n’avait plus connu de limites.

À présent. Bankart avait quitté la marine et le commandant Adam avait arrangé les choses. John disait qu’il savait pertinemment que, s’il restait marin, il se ferait tuer. Mais le pire était à venir. Son fils s’était marié. Ils n’avaient pas attendu son retour, ils ne lui avaient même pas écrit. Allday ne savait pas très bien lire, mais Ozzard aurait fait ça pour lui. Il écouta le bruit du vent qui sifflait dans les hautes herbes et des mouettes tournaient en criaillant dans un ciel pur. Les âmes des marins disparus, à ce qu’on disait.

Là où il s’était mis en rogne pour de bon, c’est lorsque son fils, ajoutant l’insulte à la blessure, lui avait annoncé que sa femme et lui avaient trouvé du travail et la sécurité de l’autre côté de l’océan, en Amérique.

— La vie est plus agréable là-bas ! avait-il asséné. C’est une occasion rêvée, on peut y élever une famille sans cette guerre qui fait rage à nos portes, un coup oui, un coup non !

Allday avait avalé une nouvelle rasade et poussé un juron :

— Ces salopards, avait-il répondu, on s’est battus contre eux, fiston, et Dieu de Dieu, on remettra ça sûrement, tu verras !

Et il était sorti de leur chaumière en lâchant :

— Toi, un Yankee ! Anglais tu es né, anglais tu mourras, je t’en fiche mon billet !

Il se sentait un peu vaseux, l’effet du rhum et du vent. Il s’ébroua, rebourra sa pipe. L’Anémone du jeune Adam avait dû appareiller à cette heure. Elle devait offrir un bien beau spectacle, tirant des bords pour parer la pointe de Pendennis. Il fit la grimace, irrité contre lui-même, l’avait dû prendre un coup de lune ou une affaire de ce genre. Comment pouvait-il encore s’émerveiller à la vue d’une coquine de frégate, après tout ce qu’il avait vécu ?

Il songea soudainement à Lady Catherine. Il ne savait trop comment elle s’y était prise, mais, pendant tout leur long voyage pour rentrer de Portsmouth, elle avait réussi à faire renaître une étincelle dans les yeux gris de Bolitho.

Ç’allait faire un drôle d’effet, prendre la mer avec eux deux… et Ozzard et Yovell qui venaient eux aussi. Tous les copains réunis. Qui aurait cru que cela lui arriverait un jour ? Il dodelina de la tête, sa pipe lui échappa et se brisa en miettes près du cruchon de rhum.

Son crâne heurta le mur et il s’assit péniblement.

La mer vide scintillait, les mouettes se chamaillaient et criaient de plus belle.

Il se releva, pencha la tête comme un vieux chien et tendit l’oreille, aux aguets.

Non, ce n’étaient pas les mouettes, cette fois-ci. Des cris, une femme qui hurlait de terreur.

Allday se mit à courir le long du mur, tête baissée, se maudissant d’être sorti sans arme. Il n’avait pas même un malheureux poignard sur lui.

Il y avait là un gros morceau de schiste, bien lourd et bien tranchant. Il s’en empara au passage.

Les hurlements reprirent. Allday enjamba le mur et jeta un coup d’œil sur l’étroit sentier qui dévalait comme un ruisseau.

Il y avait là deux hommes, ils ne l’avaient même pas entendu. Une charrette tirée par un petit âne, chargée de caisses et de ballots, était immobilisée dans le chemin. La femme était maintenue par un des hommes, une grande brute barbue qui lui tordait les bras en arrière, tandis qu’elle se débattait. L’autre, qui tournait le dos à Allday, avait l’air aussi rustre et sale que son compère. Pas moyen de se leurrer sur ses intentions lorsqu’il cria : « À présent, Billy, on va voir ce qu’elle a encore à montrer ! » Et il commença à arracher les vêtements de la femme que l’autre maintenait toujours fermement.

— Attends voir, mat’lot ! cria Allday.

Il attendit que l’homme eût fait volte-face, et pesa soigneusement l’instant propice. La grosse pierre frappa l’homme juste au-dessus de l’œil et Allday entendit les os craquer comme une noix pourrie. Il aperçut vaguement l’autre qui prenait la poudre d’escampette tandis que la femme essayait de se recouvrir les seins. Ses yeux étaient remplis d’horreur et d’incrédulité.

— Tout va bien, ma chère.

Il s’abaissa sur la forme inerte et lui porta un nouveau coup. Du gibier de potence.

Mais lui ne se sentait pas bien. La douleur lui vrillait la poitrine comme un morceau de fer rouge. Il était tout aussi incapable de respirer que de parler. Il s’écroula à terre.

La femme s’accroupit auprès d’Allday et posa sa tête hirsute sur ses genoux en criant : « Mais qu’y a-t-il ? Il faut que je trouve de l’aide ! »

Il avait envie de la rassurer, de la protéger. Plus que jamais. Il se sentait embrumé, la douleur reprenait de plus belle, plus vive encore. Il avait l’impression d’être à nouveau sur cette île de malheur : le sabre de cet Espagnol, et Bolitho qui essayait de repousser les assaillants.

Non, pas ici, pas comme ça.

Il leva les yeux pour la voir. Joli minois. Une belle femme. Il essaya de parler, mais la douleur le maintenait dans son étau. Elle répéta : « Il faut que je trouve de l’aide ! »

Il leva la main et la regarda se poser sur son épaule. Elle tremblait. Puis il s’entendit qui murmurait : « Derrière le mur… »

Il croyait parler normalement, mais ce n’était pas le cas, et elle dut se pencher pour comprendre ses mots. Il se dit bêtement qu’elle sentait le lilas. Du rhum.

Elle se releva en évitant soigneusement le corps qui gisait là, les bras en croix.

Allday essayait de fixer le soleil. Le commandant ne devait pas savoir. Il l’obligerait à rester à terre, il le laisserait sur la rive avant de partir Dieu sait où.

Elle revint auprès de lui et il sentit son bras nu sous sa tête. Elle était inquiète, tendue.

Allday avala une grande goulée et elle lui essuya la bouche avec le bord de sa robe.

— Ça va mieux, réussit-il à articuler dans un murmure. Un bon coup. Le sang de Nelson, comme on dit à présent.

Elle s’agrippa à son épaule et lui murmura : « Des chevaux. »

Allday vit de grandes ombres passer au-dessus de lui, aperçut des boutons qui brillaient. Des gardiens de la loi, deux gardes-côtes qui regagnaient la ville.

L’un des deux mit pied à terre et se pencha sur le chemin rocailleux.

— John, vieille crapule, dans quoi t’es allé te fourrer cette fois-ci ? – puis, inquiet : Ça va, m’dame ?

Toujours agenouillé auprès de lui, elle regardait Allday, l’air anxieux.

— Il m’a sauvé la vie, ils étaient deux.

Le garde-côtes examina alors d’un œil expert sa robe déchirée et la charrette chargée.

— Des voleurs de grand chemin. Sans doute des déserteurs.

Il fit jouer le pistolet passé dans son ceinturon.

— Ned, va à la maison du seigneur, c’est le plus rapide. Je reste ici, au cas où cette vermine reviendrait.

Son camarade, qui était resté en selle, se pencha sur l’encolure de son cheval pour regarder le corps.

— Il est mort, pas vrai ?

Son copain fit une grimace.

— Non. Et le seigneur va être bien content. Un de plus qui pourra se balancer au bord de la route.

— Tiens, Tom, fit l’autre, v’là l’Amazone qui s’en va.

Du coup, Allday se réveilla tout à fait et il haleta :

— Faut qu’j la voie ! Faut qu’j me mette debout !

— J’m’en vais, dit le garde-côtes en partant au trot – il baissa la tête vers Allday : Et toi. John Allday, tâche de bien te tenir en attendant qu’on vienne. J’aimerais pas croiser l’amiral Bolitho s’il t’arrivait quoi que ce soit !

La femme se servit de son tablier pour lui protéger les yeux.

— John Allday, répéta-t-elle – elle semblait interloquée : J’ai entendu parler de vous, m’sieur. Mon défunt mari servait à bord du même vaisseau que vous.

Allday comprit qu’il s’agissait de quelque chose d’important.

— Et quel vaisseau, madame ? Peut-être que je me souviens de lui.

Mais il connaissait la réponse. Un vaisseau qui ne mourrait jamais.

C’est d’une petite voix qu’elle lui répondit :

— Celui qu’on a fait une chanson à son propos. Le vieil Hypérion.

 

Lady Catherine Somervell regardait Ferguson, occupé à surveiller l’embarquement des malles et des caisses dans une voiture arrêtée devant l’entrée. Debout près du feu éteint, sans rien manifester, Bolitho parcourait un autre pli officiel arrivé de l’Amirauté. Elle se dit qu’elle pourrait contempler ainsi son mari pendant des heures, partager ses soucis qui étaient si nombreux, goûter la douceur de sa compagnie lorsqu’ils se trouvaient en tête à tête. Et l’amour qu’il lui portait, par-dessus tout.

— Les postiers ont dû crever tous les chevaux disponibles entre Whitehall et ici, lui dit-elle – elle s’approcha : De quoi s’agit-il, cette fois ?

Il se tourna vers elle, mais sans la regarder vraiment, perdu qu’il était dans ses pensées.

— Thomas Herrick. Apparemment, on lui a proposé de prendre sur-le-champ un commandement aux Antilles. On ne dit pas exactement où, mais ils n’auront pas perdu de temps.

Elle glissa la main sous son bras.

— C’est sûrement une bonne chose. Pour lui, veux-je dire.

Il lui sourit.

— On prétend qu’une cour martiale ne se conclut que par deux choses : ou elle vous fait un homme, ou elle le brise.

Elle entendit Allday qui riait dans la cour. Il était complètement changé et sa mélancolie s’était évanouie. Elle en ignorait pourtant le motif et avait d’ailleurs toujours été incapable de trouver la raison de ses différentes humeurs.

— Pourquoi Herrick a-t-il agi ainsi ? Je n’y comprends toujours rien.

Bolitho se souvenait du témoignage de Gossage, posé, imparable, du soutien apparemment sans faille qu’il avait apporté à la conduite de Herrick.

— Je crois que Gossage s’est vengé, répondit-il enfin. Il voulait que Thomas vive avec ce sentiment de culpabilité, plutôt que de le voir détruit, ou de le laisser bénéficier d’une paix que seule la mort pourra lui apporter.

Voyant sa surprise, il lui dit doucement :

— Il n’est plus comme je l’ai connu – puis, regardant les portraits : Ni moi non plus, si je ne t’avais pas rencontrée.

Elle l’attira près d’une fenêtre.

— Cet endroit va me manquer, Richard. Mais lui restera là, immuable, il nous attendra… Cette fois-ci, nous ne serons pas séparés.

Elle songeait à la consternation qu’elle avait éprouvée après leur arrivée à Falmouth, en voyant Adam et Zénoria se promener ensemble. Elle se tourna vers Richard pour mieux voir son profil et serra son bras. Il ne se doutait de rien. Keen était arrivé, mais elle l’avait rarement surpris à manifester quelque signe de tendresse à sa jeune épousée.

Bolitho lui demanda :

— Qu’y a-t-il, Kate ? Tu es toute troublée.

Elle se mit à rire pour évacuer la tension que lui avaient causée ces trois derniers jours.

— J’ai juste envie de m’en aller, mon amour. Partir avant que quelque chose d’autre ne te tombe dessus !

Allday, qui passait la porte, les surprit dans leur étreinte. Ils se tenaient toujours près de la fenêtre. Il trouva Yovell occupé à vérifier une de ses listes pour s’assurer que rien n’avait été oublié.

— Tu t’souviens d’ce second maître, le dénommé Jouas Polin ?

Yovell leva les yeux par-dessus le rebord de ses fines lunettes.

— Oui, je m’en souviens. J’allais le retrouver de temps en temps. Il était du Devon, tout comme moi – il fronça les sourcils – Pourquoi ce nom me revient ? Polin a sombré avec le vieux vaisseau.

Allday s’assit sur un coffre pour permettre à Ozzard d’en fermer la serrure.

— J’ai rencontré sa veuve, hier. Une jolie p’tite chaloupe, ça c’est sûr.

Yovell le regarda plus sérieusement.

— J’ai entendu raconter que tu étais allé sauver quelqu’un sur le sentier de la falaise. Tom, le garde-côtes, ne parlait que de ça. À propos, ils ont pris l’autre – les dragons l’ont rattrapé. Et il m’a raconté autre chose, John – à propos de toi.

— Si tu as le malheur d’en dire le moindre mot à Sir Richard, j’te…

Et il lui fit un large sourire, certain que Yovell ne vendrait jamais la mèche sur son malaise de la veille.

— Parle-moi donc de la veuve de ce malheureux Jonas Polin.

— Elle se rendait à Fallowfield, répondit Allday. J’connais pas cet endroit-là.

Yovell se mit à sourire.

— C’est moi qui ne suis pas d’ici, et apparemment, je suis le seul à savoir où se trouvent les choses !

Il croisa les bras sur son large poitrail et regarda pensivement Allday. Cette fois, c’était particulier, ça avait l’air sérieux.

— C’est au bord de la Hellford, pas loin de la pointe de Rosemullion. Un petit hameau, juste une ferme et quelques pêcheurs. Et qu’allait-elle donc faire là-bas ? Ce vieux Jonas était natif de Brixman, un vrai gars du Devon.

— Y a une jolie p’tite auberge à Fallowfield, répondit prudemment Allday, ça s’appelle La Tête de Cerf ! pour tout te dire.

— Tu veux dire, il y avait. Cela fait à peu près un an que l’endroit est abandonné.

— Ce n’est plus le cas. Daniel. Elle a rachetée l’auberge. Elle va la remettre en état.

Il l’entendait encore lui dire : Vous serez toujours le bienvenu, monsieur Allday.

Yovell plia son papier avant de le remettre dans sa poche.

— Elle peut y arriver. Ça fait une bonne trotte pour aller jusqu’à l’auberge la plus proche, Au Royal George.

Il s’arrêta, comme s’il réfléchissait et, à la grande surprise d’Allday, s’approcha de lui et lui serra vigoureusement la main.

— Je te souhaite bonne chance, John. Dieu sait que tu as suffisamment souffert, et je ne parle pas que des Grenouilles.

Ozzard, qui avait gardé les yeux baissés, leva un peu la tête, mais resta silencieux. Le sourire ne lui venait pas. Le souvenir du corps de sa femme se rappela immédiatement à lui, il ressentait encore le même sentiment d’horreur. Cette chambre, à Wapping. Les hurlements, le sang, et lui qui cognait et qui cognait encore, jusqu’au silence définitif.

Ferguson s’essuya le front d’un revers de manche et les quitta pour regagner la maison. Il avait vu Keen passer seul dans le jardin et avait fait un crochet pour l’éviter. Il essayait de se persuader que cela ne le regardait pas, ni personne d’autre, mais il ne s’en sentait que plus coupable.

Un peu plus tard, Tojohns, le maître d’hôtel de Keen, entra et vint saluer Bolitho.

— ’Vous d’mand’pardon, sir Richard…

Il évitait soigneusement de regarder la dame de l’amiral. Il déglutit péniblement. Se retrouver dans la même demeure qu’eux, les deux personnes qui faisaient l’objet de toutes les conversations à Londres comme dans la plupart des ports, lui donnait l’impression d’être en présence de la famille royale.

— …on dit en ville que le navire s’apprête à mouiller dans la baie de Carrick.

Bolitho eut un sourire. Il se sentait soudain tout excité, tout autant qu’elle, connue un aspirant qui se pavanerait, sa bien-aimée au bras.

— Nous embarquerons demain. Demandez à Stephen de s’occuper de tout.

Il se retourna en voyant Keen monter les marches de pierre usées. À quoi pensait-il ? Regrettait-il déjà d’avoir dû laisser le Prince Noir à quelqu’un d’autre ? Etait-il en train de peser le pour et le contre, une promotion qui l’obligeait à laisser sa jeune femme à Falmouth ?

— C’est pour demain. Val, lui dit Bolitho.

— Je suis paré, sir Richard. Je ne suis plus qu’un commandant sans bateau, et pourtant…

— On dit que le navire est arrivé ?

C’était Zénoria qui sortait de la bibliothèque. Son regard se tourna immédiatement vers son mari.

— Nous ne partons pas pour toujours, lui dit doucement Bolitho. Mais je pense que Val a pris la décision qui convenait pour assurer son avenir comme le vôtre. Je sais que c’est un choix difficile – et, se tournant vers Catherine : Mais choisir est toujours difficile. Il n’y a que les gens malheureux pour ne pas regretter de s’en aller.

Les yeux de Zénoria allaient de l’un à l’autre.

— Je suis désolée, sir Richard, je ne savais pas que c’était lui qui avait pris la décision. Je pensais que mon mari avait reçu ordre d’accepter cette mission.

— Ainsi vont les choses dans la marine, Zénoria, répondit Bolitho – puis, pour détendre l’atmosphère, il dit à Keen : Voudriez-vous venir une minute, Val ? J’ai des nouvelles de l’Amirauté.

Lorsqu’elles furent seules, Catherine passa le bras autour des épaules de la jeune femme et lui dit gentiment :

— Essavez de l’aimer comme il vous aime. Il a besoin de savoir que vous l’aimez, il faut le lui dire. Tous les hommes sont ainsi. Il est bon, il est honnête et il vous fait confiance… il ne doit jamais imaginer que sa confiance a été trahie.

Zénoria se tourna vers elle sans rien répondre. Elle avait les larmes aux veux.

— J’essaie, Catherine. J’ai tant essayé…

On entendait des bruits de pas, les gens apportaient des caisses pour les mettre dans la voiture.

— Allez le voir, tout de suite. Prenez soin de votre homme comme je m’occupe du mien. Je l’aime tant, j’ai peur dès qu’il fait le moindre pas. Ceux qu’il essaie d’aider se retournent contre lui ses vrais amis gisent sous des brasses d’eau. Mais c’est sa vie et je le savais lorsque je me suis donnée à lui. Et pourtant, parfois… lorsque je me réveille et qu’il n’est pas là, j’ai le sentiment que mon cœur va se briser…

Voyant qu’Allday les observait, elle s’adressa gaiement à lui :

— Et qu’est-ce que j’entends à votre propos ? Un amour secret, on a sauvé une femme en péril ?

Allday lui sourit de toutes ses dents. Il ne savait pas comment elle était au courant, mais il devina qu’il était arrivé au bon moment.

 

Valentine Keen marchait dans cet endroit ombragé, glissant dans l’herbe humide. Il avait dû y avoir beaucoup de rosée au cours de la nuit, mais à présent, le jardin s’était réveillé, les oiseaux chantaient. L’aube n’allait plus tarder à se lever, mais la campagne alentour était encore noyée dans une atmosphère de mystère. Une légère brise qui portait jusqu’à lui des senteurs marines faisait trembler les feuilles et ajoutait à son inquiétude, à son désespoir même.

Il serra un peu plus fort les frêles épaules de Zénoria en songeant à leur nuit, leur dernière nuit en Angleterre avant longtemps. Il essaya de chasser en même temps une autre idée qui lui venait, ce à quoi songe tout marin, qu’il soit amiral, commandant ou simple matelot, chaque fois que son bâtiment lève l’ancre. Que c’est peut-être la dernière fois, à jamais.

Un rouge-gorge leva la tête dans les herbes, mouvement discernable uniquement par les jonquilles qu’il fit remuer à son passage, et lança son chant joyeux.

— Il va être l’heure, dit Keen – ils s’arrêtèrent près du vieux mur sans s’être donné le mot : Fais bien attention à toi lorsque je serai parti, n’est-ce pas ? Je sais que tu es en bonnes mains, mais…

Elle laissa tomber sa tête sur son épaule et le serra plus fort contre elle.

— Je t’aime tant, Zénoria, reprit-il. Et j’ai si peur de ne pas être à la hauteur…

Les premières lueurs du jour se reflétaient dans ses yeux.

— Comment pourrais-tu, après tout ce que tu as fait pour moi ? Sans toi…

Il posa un doigt sur ses lèvres pour l’obliger à se taire.

— N’y pense plus, pense au présent. Pense à nous. J’ai tant besoin de ton amour… et j’ai peur que cela ne t’éloigne de moi. Je suis si… si maladroit, je suis ignare. Un moment, je te retrouve, et l’instant d’après, tu n’es plus là, et je sens un gouffre s’ouvrir entre nous.

Elle lui prit le bras et lui fit rebrousser chemin dans le sentier en lacets. Sa robe effleurait les pierres encore tout humides de rosée.

— Les choses ont été difficiles, pour moi aussi, mais je n’ai jamais manqué d’affection pour toi. Tu me disais de ne pas repenser au passé. Mais comment le pourrais-je ? Mes souvenirs reviennent, et je me sens remplie de terreur – elle hésita avant de poursuivre : Je voudrais tant me donner toute. Lorsque je vois Sir Richard et sa Catherine ensemble, j’ose à peine les regarder. Leur amour est si fort et si beau…

— Toi aussi, Zénoria, tu es adorable.

Il approcha son visage du sien et sentit des larmes rouler sur sa joue.

— Je ne peux pas supporter de te laisser dans cet état.

Il entendit les chevaux que l’on sortait de l’écurie, comme pour le narguer. La voiture devait attendre.

Il resserra son étreinte et lui caressa les cheveux. Le jour se levait, des taches de lumière s’étalaient comme à grands coups de pinceau. On apercevait la mer au-delà de la pointe de Pendennis.

— Je voudrais tant te plaire… murmura-t-elle. Comme celle que tu as aimée dans les mers du Sud.

— Je ne l’ai jamais touchée, répondit Keen, mais je l’ai vraiment aimée. Lorsqu’elle est morte, j’ai cru que je ne pourrais jamais… que je ne serais jamais capable d’aimer quelqu’un après elle.

— Je le sais. C’est bien pour cela que je me désespère de ne pouvoir me donner comme tu le mérites.

Keen entendit Allday qui discutait avec Ferguson. Ainsi, et si ce que l’on racontait était vrai, Allday avait trouvé une femme à aimer, ou du moins, une femme qui l’avait traité avec douceur après ce qu’il avait fait pour elle.

Et moi, je suis en train de perdre la mienne.

— Je t’en prie, Val, lui dit-elle, écris-moi. Je penserai sans cesse à toi… Je me demanderai où tu es, ce que tu fais…

— Oui, c’est promis.

Il y avait de plus en plus de remue-ménage ; le bruit de pas qu’il connaissait si bien sur les marches de pierre. Il entendait la voix de Catherine, ils devaient l’attendre.

— Je dois partir. Zénoria.

— Je ne peux pas descendre jusqu’au port pour te voir partir ?

Elle était redevenue une enfant.

— Lorsque l’on se retrouve seul, un port est l’endroit le plus solitaire qui existe-il l’embrassa très tendrement, tout doucement, sur les lèvres : Je t’aime tant.

Puis, tournant les talons, il gagna la sortie du jardin.

Allday, tout seul près du portail, contemplait la terre. Le maître d’hôtel de Keen avait déjà rallié le bord en compagnie d’Ozzard et de Yovell. Ferguson sortit dans la pénombre de l’entrée et lui tendit la main.

— Au revoir, commandant. Nous prendrons grand soin de votre dame. Mais ne partez pas trop longtemps.

Désespéré comme il l’était, Keen prit ces paroles d’adieu comme une mise en garde.

Il grimpa dans la voiture et s’assit à côté de l’aide de camp. Son manteau collait au cuir humide de la banquette.

Catherine s’appuya contre une fenêtre et murmura : « Adieu, vieille demeure ! Attends-nous sagement ! »

Sophie, sa femme de chambre, lui jeta un regard surpris. Pour elle, tout ceci n’était qu’une grande aventure.

La voiture s’inclina lourdement lorsque Allday monta à bord à son tour pour s’installer près de Mathieu. Un claquement de fouet, et les roues cerclées se mirent en branle en tressautant sur les pavés.

Perdue au milieu des jonquilles, une jeune femme regardait les premiers rayons du soleil jouer sur l’arrière de la voiture.

Elle avait envie de pleurer, elle sentait son cœur se briser. Mais ses yeux restèrent secs.

 

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